Luel Titania sort les crocs !

« Père, je ne vous décevrais pas. » 

Furent les derniers mots de Luel avant de rejoindre le champ de bataille et de quitter son foyer tant adoré. Déterminée, elle avança d'un pas sûr devant un millier d'hommes lui obéissant au doigt et à l’œil, dans l'objectif de conquérir Silit, la cité tant convoitée par la famille Titania. 
Mais pour comprendre comment la princesse du pays d'Edennia, connue pour son peuple composé à 99 % de fées se retrouvait sur le front, il fallait remonter quelques années plus tôt, quand celle-ci était sur le point de fêter son trois centième anniversaire. 

Le pays d'Edennia était connu pour sa grande prospérité. Dotée de l'avancée technologie égalisant les plus grandes citées de ce monde, le Roi Endril était sans cesse attiré par les richesses que son pays ne possédait pas encore. Extrêmement centré autour de la force et la discipline militaire, Endril avait en sa possession les meilleurs mercenaires de la contrée. Il était un négociateur hors pair et participait à un immense réseau commercial traversant le monde de part et d'autre pour y obtenir les meilleurs tissus, les meilleurs victuailles, mais surtout, les meilleurs parchemins. Nul ne sut ce qui poussa le roi à rassasier son insatiable soif d'extension. Il ne cessait de gagner en influence, étendant son territoire par le biais d'accord commun, et plus rarement par la guerre. 

Cela faisait des centaines d'années qu'il tentait de s'emparer de Silit, un excellent noyau de communication et de réseau commercial. La base de la prospérité régnant sur Edennia depuis des siècles. Mais après avoir échoué une énième fois dans les négociations, Endril su que le moment de porter les armes était venu. Silit s’agenouillerait bientôt devant leur futur roi, peu importe le temps que cela prendrait. 

Alors que petit à petit, des plans se formaient dans la tête du roi afin de planifier sa nouvelle conquête, ce fût à cette période qu'il rencontra par hasard Luel. Cette petite fée perdue, sans abri ni famille, survivait en faisant main-basse sur quelques produits dans les stands marchands. Elle avait une capacité à se mouvoir dans la foule avec tant de discrétion que le roi, se baladant incognito ce jour-là, dû la suivre des heures durant pour comprendre que cette fille usait de la magie de l'ombre. Un simple contact avec les yeux et personne ne se souvenait de la pauvre demoiselle en guenilles venue chiper un morceau de pain sur leur étalage. 

Luel se souviendra toujours de sa rencontre avec son père adoptif. Elle était en train de manger son piètre repas sur sa couche constituée de paille sale et d'un drap volé sur une corde alors que le linge séchait. Quand la demoiselle fût rapidement épuisée par la magie dépensée, le roi l'avait discrètement poursuivit jusqu'à son petit abri, un coin sale installé dans une impasse étroite jamais fréquentée par les êtres vivants à deux pattes. C'est pourquoi en entendant le bruit des chaussures martelant le sol dans sa direction, Luel paniqua. Elle n'avait nul endroit où se cacher, elle était cernée. Enfin, l'homme s'était approché suffisamment pour révéler son visage à la gamine effrayée. 
Sa femme étant stérile, le Roi connaissait l'ardent désir qu'éprouvait sa chère et tendre de devenir mère, d'avoir une enfant à cajoler, des cheveux à coiffer... Et lui avait trouvé le nouveau futur général pour faire de son désir de conquête, une réalité. Pourquoi elle ? Pourquoi ce jour-là ? Le roi ne choisissait jamais rien au hasard. Une enfant seule, abandonnée, pauvre, constituait le meilleur potentiel d'enfant à modeler à son image. 

« - sais-tu qui suis-je, jeune fille ?
- Vous êtes… Le roi... Sire Titania... Monsieur. Répondit-elle d'une toute petite voix. 
- Sais-tu que tout vol est passible de prison ? 
- Oui... Monsieur...
- Où son tes parents ? 
- Je n'en ai pas... Monsieur... 
- Viens avec moi. »

C'était un ordre, il était inutile de protester. Luel savait qu'elle n'avait ce qu'elle méritait, que son existence ne valait rien sur cette terre. Elle pensait en toute logique être incarcérée à vie dans une prison où la laisserait mourir de faim, c'était tout ce qu'elle méritait. Ainsi fut-elle étonnée quand on ne la guida pas dans les sous-sols de la forteresse, mais... Dans sa nouvelle chambre. Une nouvelle vie démarra pour la petite fée. 
Endril observa Luel fêtant son anniversaire, le premier depuis son arrivée dans la famille royale, autour d'un énorme gâteau, habillée à la pointe de la mode féerique, la belle s’émerveillant devant le nouveau glaive offert par son père, ornée richement par le meilleur forgeron à des milliers de kilomètres à la ronde. Composé en majorité de mithril, un métal extrêmement précieux dégoté au fin fond du pays, l'épée avait la particularité unique d'avoir fusionné avec des éclats d'améthyste, pierre précieusement débusquée dans les veines d'améthyste, réputée pour leur grande réserve de magie, dans une tribu mystérieuse tribu d'elfes. 
C'était un incroyable présent, un symbole d'acceptation dans la famille. Son dur labeur ne faisait que commencer. 

Elle passait des heures et des heures à affiner ses compétences par l'art de la guerre, désireuse de plaire à son père par n'importe quel moyen. Ses journées étaient rythmées par les cours d'escrime, les cours théorie et les heures interminables à s'entraîner dans le dojo familial. Naturellement, elle se sentait depuis toujours beaucoup plus proche de son père (qu'elle suivait comme son ombre) que de sa mère. Luel n'avait jamais été intéressée par les traditions féminines : les tâches ménagères, la couture, la danse, elle les laissait volontiers aux dames et servantes de la maisonnée, elle n'en avait pas le temps. L'abandon de sa génitrice avait quelque peu freiné son amour maternel et Endril avait bien l'intention de faire de Luel une véritable machine de guerre. En contrepartie, elle apprit à être impitoyable avec ses adversaires, fière de ses valeurs et hautement féroce avec ses servantes. 

Deux cent huit ans s'écoulèrent paisiblement ainsi. À force d'investigations et de réseautage d'espions, le père de Luel avait doucement commencé l'assaut de Silit. Il était fin prêt à couper sa dépendance commerciale afin de mieux conquérir la cité. La famille Vi Silit serait bientôt détrônée.
Luel Titania était promue général de l'armée d'Edennia et bien décidée à satisfaire tout les désirs de son père. Untel avait osé mal répondre à son père ? Il mourrait la seconde suivante. Son père désirait Silit, elle lui donnerait. 

Après un ultime adieu à sa mère, laissant son père diriger le pays d'Edennia (afin d'éviter une potentielle contre-invasion), Luel se lança à l'assaut de la riche cité aux mille vices. Épée à la main, Titania guida son escouade à la conquête de la première étape de leur victoire : le Palais Royal. Mais c'était sans compter la première ligne de défense, non pas la moindre : Karel et Aura, les enfants de la royauté Vi Silit. C'était un combat en deux contre un, mais cela ne découragea pas une seule seconde la guerrière fée qui, brandissant son arme fétiche, s'élança en avant combattre avec toute la grâce et l'ardeur développée au cours de sa nouvelle vie. 

« Pour mon père, le roi ! » 

Malgré leur beauté naturelle, Luel était déterminée à offrir à son père le royaume tant attendu. Elle avait été formée pour ça, dans cet unique but et espérait obtenir une fierté méritée sans égale de la part de son père adoptif. 
Tandis qu'elle s'acharnait pour neutraliser Aura, Karel était toujours présente pour compléter les coups de sa soeur et faire reculer le plus possible Luel. Leurs mouvements étaient synchronisés, sans qu'ils aient nul besoin d'échanger un seul mot. Des regards, qu'elle tenta de percer, suffisaient largement pour se compléter mutuellement. Il était évident que le combat était vain. Luel avait beau donner de sacré bon coup d'épée, enchaîner les parades et contrer deux armes en même temps, elle n'avait pas réussi à mettre un seul pied dans le palais royal et son escouade militaire se retrouva bien vite décimé avant que la fée guerrière, après un faux mouvement due à la fatigue, voit son épée s'envoler face à une contre-attaque de Karel. Dans un même temps, Aura à gauche et Karel à droite, leur épée suivant le prolongement de leur bras tendu virent s'arrêter aux deux extrémités de la gorge de Luel, qui tomba à genou, défaite. 

Otage politique dans les cachots de Silit, des négociations furent arrangées. Endril, pour sauver son pays et son commerce, donna sans hésiter à Silit sa fille en mariage au fils héritier Vi Silit afin de conclure une alliance pacifique dans le but de faire prospérer les deux cités et le commerce équitable. 
Ainsi, depuis 50 ans, Luel fut contrainte de s'installer dans le palais royal, fiancée à un incube qui prône les joies de la luxure et de la polygamie. Il ne se passait pas un jour sans qu'elle ne se réveille dans les draps de son nouveau lit en suppliant intérieurement que ce n'était qu'un rêve et ne cessait de réfléchir à un moyen de quitter cette vie à jamais.